Lorsqu’il fallut chercher quelqu’un pour créer la pochette et le visuel marketing pour leur nouvel album, The Hunting Party, Linkin Park n’eut pas à chercher très loin. Ayant été longtemps fans du travail de James Jean, « la conversation commença naturellement » déclara Mike Shinoda à propos de leur collaboration.
Jean est un artiste américano-taiwanais dont le travail est souvent peuplé d’êtres mythiques et de créatures fantastiques.  Ses œuvres, entre couleurs et dynamisme, sont pleines d’énergies. Pour le nouvel album de Linkin Park, il a créé une imagerie agressive d’un guerrier, approprié pour un titre comme The Hunting Party. Après que Jean ait dessiné ceci, le graphiste Brandon Parvini les transposa en 3D, et le résultat devint le visage du nouvel album.


Comment avez-vous trouvé le concept pour la pochette/visuel marketing de The Hunting Party ?

James Jean : J’ai eu quelques discussions à propos du visuel de l’album avec Joe Hahn et l’équipe artistique, et nous avons créé le style de ces tableaux, et partagé des images qui semblaient définir une direction générale. Joe voulait créer un univers habité par de puissants personnages et défini par des paysages étranges. D’abord, le concept était de créer un personnage ou un paysage pour chaque chanson, mais nous ne savions pas exactement ce que ce serait jusqu’à ce que je commence à dessiner.

Mike Shinoda : Nous tentons d’imaginer notre artwork – packaging, marchandises, visuel scénique, vidéos, etc… - d’une manière holistique (dans la généralité et non point par point, oui j’ai cherché la définition…). Toutes ces parties sont connectées, et en créant un style qui pourrait être utilisé dans tous ces contextes, nous pouvons immerger les fans dans un univers cohérant et unique à chaque fois. C’est toujours un travail en cours, mais je sens que nous avons appris beaucoup de choses et continuons de rendre ceci meilleur à chaque fois.


Pourquoi avez-vous choisi des personnages en guerre, soit armé d’un arc et des flèches, soit se battant ? Y a-t-il une raison pour laquelle vous êtes arrivé à cette image masculine et agressive, hormis le nom de l’album ?

James Jean : A ce moment, il n’y avait pas encore de nom. Brad m’avait envoyé quelques idées qui traitaient souvent  de luttes personnelles et extérieures. D’une manière métaphorique,  cela devait se dérouler sur un champ de bataille. Et comme on y trouve beaucoup de luttes, surtout celles qui se passent de nos jours, les limites entre victoire et défaite sont difficiles à définir. Dans mon imagination, ces personnages devaient être armés pour la bataille, tout en ayant un côté plus fragile.
Quand j’ai commencé à dessiner, ces images me sont revenues, comme la chair se déchirant et se transformant en différentes formes ou de fragiles éclats de cristal en éruption depuis une matière organique. (WTF ?!) Le groupe a une longue histoire et leur évolution est plus discutée et examinée, donc ces personnages devaient être la manifestation de cette évolution, cette complexe mutation qui exprime leur mécontentement.

Mike Shinoda : Le nom de l’album vient d’un truc que j’ai lu sur Internet. Une écrivaine japonaise disait que la culture japonaise pouvait être en difficulté parce que les jeunes hommes sont, comme elle l’a dit, « des moutons » ou des « herbivores ». Ils s’assoient et broutent, en attendant qu’une opportunité vienne à eux. Ils ne sortent pas pour « chasser » une fille, ou un travail peu importe. Nous avons le même sentiment à propos de la musique ; c’est devenu mou et sans danger. En faisant The Hunting Party, nous étions sortis de tout ça avec quelque chose de viscéral et agressif.


James, combien de temps avez-vous pris pour créer cet artwork ?

James Jean : J’ai décidé de créer ces dessins dans un carnet à dessin. C’était plus intime et moins précieux. L’intention était d’avoir une autre équipe pour les transformer en 3D, il y allait donc y avoir un développement supplémentaire sur ces personnages en terme de lumière et de texture. Cela m’a pris environ un mois pour faire 20 dessins, et en même temps que je dessinais, l’équipe artistique pouvait choisir quels personnages ils allaient modéliser en 3D. C’était vraiment une exploration, arriver juste avec le plus de dessins possibles en un court laps de temps pour voir quelles formes, quelles idées pouvaient le mieux fonctionner.


James, votre travail est souvent mythique ou épique, avec des personnages fantastiques dans de dynamiques scènes. Comment pensez-vous que cette esthétique se traduise dans la musique de Linkin Park ?

James Jean : Linkin Park est une synthèse de plusieurs influences, et je sens que mon approche est similiaire dans le sens où je dessine depuis différents aspects issus de la culture visuelle, de l’animation à l’art populaire en passant par la peinture contemporaine, et use de différents médias, d’un matériel très traditionnel aux outils numériques pour créer mes images. En ce sens, la portée de ce travail tend à être vaste et profondément texturé, tout comme leur musique, leurs vidéos et leurs performances.

James, avez-vous écouté leur musique en dessinant l’artwork de l’album ? Comment leur musique a influencé le rendu final ?
James Jean : Je savais que le groupe était en train de changer de parcours avec The Hunting Party. Armé des textes de Brad et Mike, mes dessins  étaient chargés de leur intensité tout comme leur raisonnement à propos de ce changement. C’était assez pour faire avancer les choses. Mais non, j’étais privé de leur musique à ce moment. Joe Hahn m’a interdit d’écouter les nouveautés depuis que j’ai joué de mémoire quelques chansons sur son piano, il avait peur que je dévoile les morceaux.


En quoi cette expérience était-elle différente de votre travail avec d’autres artistes ?

James Jean : Avec Talib Kweli  [dont James Jean avait créé la pochette de Prisoner Of Conscious en 2012], j’avais juste à créer une simple image. J’avais une assez complète liberté dans ce cas, mais avec Linkin Park, ce fut plus étendu et intégré à la philosophie du groupe et l’entière direction visuelle de cet album. Chaque dessin doit avoir un lien avec le suivant plutôt que d’exister juste comme une pièce unique.

Joe Hahn : En commençant par Minutes to Midnight, nous avions une imagerie créée par Josh Vanover. Pour Living Things, c’était Brandon Parvini. Cette fois, c’est James Jean. Ces trois dernières fois, nous avons essayé de maintenir un style cohérent dans ces projets. De plus, Brandon a joué un rôle crucial avec son ordinateur et ses illustrations graphiques.


En quoi pensez-vous que travailler avec des artistes dans d’autres domaines vous permet de vous étendre au-delà de vos pratiques habituelles ?

James Jean : Je trouve que beaucoup de musiciens sont également des artistes visuels, ou au moins adeptes d’art, donc travailler avec des musiciens vient naturellement. Maintenant que j’y pense, je suis un musicien manqué qui fait de l’art. Avant The Hunting Party, je n’avais jamais fait autant de dessins, aussi vite, dans un thème bien particulier. Aussi, ce pourrait être la première fois que mes dessins sont aussi fidèlement transposés en 3D. Si quelque chose devait être inattendu, cela viendrait de la manière dont le travail 3D se serait déroulé.

Mike Shinoda : Notre musique est un constant va et vient entre un élément humain et un autre numérique. C’est un thème que l’on retrouve dans une grande partie de notre art des années passées, et il apparait ici en une différente forme. L’opportunité de travailler avec un peintre et illustrateur du calibre de James est un réel plaisir. Une chose qui m’attire dans son travail, c’est la gamme des émotions complexes qu’il représente. J’aime penser que notre musique fait la même chose.